Ferme de la Brosse

Rémi Poirier

Coup de coeur du Jury n°1

Territoire : Castelrenaudais

En plein air, rien ne se perd, tout se transforme

Comment transformer un handicap agronomique en atout économique ? Rémi Poirier, en reprenant les 140 ha de la ferme de Brosse en Castelrenaudais a opté pour l’élevage tout plein air de races rares ou menacées. Une formule extensive où se côtoient des parcs de bovins wagyu, des porcs gascons et blancs de l’ouest et bien sûr des oies et gélines de Touraine. Tous les animaux naissent et grandissent ici sur ces sols sableux sur faluns. De vrais percolateurs ces terrains demeurant sains et portants toute l’année.

 

Le petit cheptel wagyu, une race référencée au Japon pour le fameux bœuf de Kobé, produit des bœufs de cinq ans et des vaches à viande, abattus à Vendôme puis vendus en circuit court.

 

La trentaine de truies et leur suite vivent en présence des verrats selon une rotation bien chronométrée destinée à restaurer les parcs et éviter les consanguinités. Les porcs charcutiers gambadent eux aussi tout en se roulant avec un plaisir manifeste dans les quelques zones boueuses près de mangeoires. Une vie insouciante de quatorze mois jusqu’à l’heure du trépas une fois arrivés à 150 kg vif.  Une viande porcine d’exception, prisée par les particuliers mais aussi des charcutiers parisiens et du grand ouest…jusqu’à Vannes. Un tourangeau vendu du porc aux bretons c’est assez rare pour être signalé. Quatorze mois, c’est trois fois plus long qu’en élevage conventionnel, mais alors la rentabilité ? Le secret économique réside dans la modestie des charges de productions.

 

Rémi Poirier utilise un réseau qu’il a patiemment tissé auprès de maraichers et de grandes surfaces qui le payent pour enlever les invendus de fruits, légumes, pains, viennoiseries. Quant aux céréales, c’est auprès des meuniers qu’il se fournit en lot de farines déclassées (présence d’insectes, sacs éventrés…). Devenue impropre à la consommation humaine, cette nourriture offre avec les cultures produites sur place une ration de base de bonne qualité pour les porcs de la Brosse.

 

Chantre du circuit court, c’est dans le même esprit que l’éleveur élève ses volailles haut de gamme à l’origine achetées auprès des associations locales de conservation des races. L’exploitation dispose de couvoirs où éclosent des œufs issus des parcs reproducteurs de la ferme. L’élevage fonctionne avec 120 reproducteurs géline et 180 oies côtoyant une centaine de jars. Après six mois d’engraissement en plein, les gélines sont commercialisées vivantes ou en carcasses de 2,5 kg. Volailles festives par excellence, les oies pèsent entre 5 et 6 kg et arrivent pour les fêtes de fin d’année, vendues vives ou abattues.

 

Bouchers-charcutiers, particuliers et conserveries constituent l’essentiel de la clientèle. La forme évoluée d’économie circulaire mise en œuvre par Rémi Poirier et une équipe de 3 salariés s’exprime aussi au niveau agronomique. Rompu à l’agriculture de conservation, de ses expériences aux Etats Unis et au Brésil, Rémi Poirier met en pratique sa formation d’ingénieur pour nourrir des terrains connus pour « brûler » la matière organique.

 

Autour des vieux bâtiments de l’exploitation sont stockés d’immenses tas de végétaux et de composts mûrs destinés à nourrir les sols avec cet or noir. Comme pour les légumes, la Brosse est une destination finale pour les sociétés de collecte de déchets verts et les déchetteries locales. Cette forme d’agriculture un peu inclassable pour les béotiens ne manque pas de questionner alentours. « Les contrôleurs de la Direction départementale de Protection des Populations connaissent très bien l’élevage reconnaît Rémi Poirier avec un léger sourire. Et j’ai la chance d’avoir affaire avec des fonctionnaires à l’écoute, compréhensifs appliquant la réglementation avec discernement et connaissant même les porcs laineux mangalitza (1), un micro-cheptel de deux truies intriguant plus d’un visiteur.

 

C’est avec sérénité que ce trentenaire envisage l’avenir qui concrétise un modèle d’agriculture rare. « La Ferme de la Brosse est économiquement viable, car peu dépendante des marchés extérieurs ; écologiquement exemplaire, car ancrée dans le recyclage et la préservation des sols ; éthiquement cohérente, car respectueuse du bien-être animal et du patrimoine génétique local. Notre objectif est simple : prouver qu’on peut produire autrement, sans dépendre des fluctuations du marché, tout en préservant la biodiversité et en donnant du sens à chaque maillon de la chaîne. »

 

 

(1) Croisement stable de truies de races diverses, présence de gènes de sanglier produisant un lard haut de gamme. Origine austro-hongroise, racines communes avec le porc ibérique.

 

Rédaction : Philippe Guilbert